Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon

 Tous les hommes n’habitent pas… : une scénarisation signifiante

…Il se joue ici une négociation de nouveaux contrats d’articulation entre les pôles du romanesque à savoir le personnage l’intrigue et l’espace. On a trois personnages, trois intrigues et trois principaux espaces qui sont superposés. Chacun des personnages principaux, formant un nœud avec son espace, l'habite son à sa façon.

     Le récit oscille ainsi entre trouées anticipatrices et retours en arrière ; entre la vie de pasteur du père Hansen, la vie de cinéaste de sa femme et la vie de prisonnier du fils. Tout cela se fait dans un mouvement d’explication et de mise au jour des dessous de la situation présente. On pourrait rapprocher le dynamisme narratif ici du motif traditionnel du roman policier, qui ne peut ménager le coup de théâtre final qu’en préservant la possibilité de la surprise. Le lecteur ignore le motif de l’incarcération de Paul, il ne l’apprendra qu’à la fin du roman.

     Le rôle principal qu’occupe le narrateur intradiégétique du récit, toutefois, lui confère une position quasi omnisciente. Cela le rend en mesure d’établir des liens de causalité entre les événements ; de rapprocher les espaces et les superposer ; de réunir les personnages en un seul espace puis les séparer. La cellule de la prison de Montréal se substitue tragiquement à la cellule familiale.C’est là que le fils, qui a tout perdu, vit désormais avec ses fantômes : ses parents.  

      Se constitue ainsi un ensemble signifiant, où chaque scène prend sa place dans cette trame ajustée. C’est un perpétuel aller-retour entre la prison, l’église et le cinéma. Ce serait sans doute un procédé narratif pour représenter la dislocation de la famille Hansen. La rupture familiale débouche obligatoirement sur l’émiettement de l’espace et par ricochet de l’intrigue.

    De plus, chacun des membres de cette famille est prisonnier de son espace : le fils croupit dans une prison ; le père prisonnier de sa foi et la mère se laisse emportée par sa passion qu’est le cinéma. Les trois mondes, les trois personnages, forment un ensemble lié mais séparé. « En prison, nous ne nous faisons que rarement des confidences et parlons très peu de nos familles » p.139.   

     Ce sont en fait des mondes qui évoluent parallèlement mais intimement liés. « […] ma mère, hermétique aux choses de l’Église et de la foi, réfractaire à l’idée même de péché, ne mettait jamais un pied ou un talon à l’office », p.32. Quant au pasteur, il a du mal à croire que sa femme Anna puisse vivre « librement à l’ombre d’une chapelle », p.45. C’est un homme sans voix, absent de lui-même qui semblait accepter sa défaite. Chacun d’eux se meut dans un univers d’où il ne peut se retirer ; et où il ne fait que s’engluer. « La prison nous ensevelit vivants », p.88. Cette configuration tripolaire est à la limite un piège duquel les personnages victimes ne peut échapper…


Erick DIGBE, Critique littéraire, correcteur-relecteur, Rédacteur en freelance, Conseil en écriture. 

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