Comme une flamme éphémère

 Flamme pas si éternelle

    

   Je vais vous dire deux mots de Flamme éternelle d’Etty Macaire, poème-livre publié par les éditions Continents. La couverture ? passons ! L’éditeur aurait pu être habile et exigeant avec lui-même que de nous proposer ça ! La Flamme éternelle, c’est Kwelie, c’est la muse du poète qui s’empare de lui, entièrement. Alors, il ne sait plus comment résister à l’écriture. Quand il refuse d’écrire « Kwelie !/ Des vers je n’en ferai point !/Des poèmes, je n’en accoucherai pas ? » (je ne sais pas pourquoi le point d’interrogation), c’est à ce moment que l’inspiration déborde.

      Le poème est structuré en partie : Souffle I ; Souffle II… ; puis en sous partie : I, 2, 3… Chaque Souffle présente sous forme de didascalie l’état d’âme du poète à mesure qu’il obéit au diktat de l’inspiration. C’est en quelque sorte une mise en scène de l’instant de l’acte d’écriture à son amoureuse. Et ce jeu-là, Tiburce Koffi l'a mieux réussi dans « Aubades pour M’mauya ».

     Flamme éternelle est une poésie qui ne bouleverse pas; elle demeure aussi calme qu’une souche. Il ne faut pas en espérer grand-chose, car cette poésie ruisselle ou va claudiquant en prenant l’accent d’une parole jetée à l’eau. Des images élaborées, capables d’empoigner le lecteur, s’il y en a, sont maigres, flétries. Ce qui pourrait être de la grande poésie pour des poètes-lecteurs amateurs qui n’ont ou ont perdu le goût de l’élégance. « Pour une fois, la toute première fois, j’ai fermé un livre pour toi Kwelie, pour toi, ô ma Flamme éternelle » ; « Des essaims de rêves joyeux/Joyaux idylliques »…

      Quand on s’est habitué à rougir ou à noircir (c’est selon), sous l’éclat de quelques petites métaphores, on prend quelquefois avec plaisir une formule quelconque, un simple jeu de mots (même relevant du domaine public) se présente pour une trouvaille inouïe. « Et moi, pauvre naïf, qui avais pensé que…/Que mon corps…mon cœur avait achevé ses chevauchées de jeune jument ». On refuse d’appeler poésie des images déshéritées de beauté et de quelques grâces sympathiques, quand il manque ce souffle qu’on cueille au profond de ses tripes et qui vient causer la fracture de la syntaxe et en même temps l’éclatement de la langue, en laissant ainsi un trouble dans la mémoire du lecteur.

     [ Nous croyons qu’on est poète quand on parvient à dessiner une autre façon de parler qui excède ou transcende la communication ordinaire ? Sinon comment le poète réussirait à négocier une place dans le ciel ? La poésie réside en vérité dans le tremblement de langue. Et même s’il arrive de s’accorder à dire que la poésie est un jeu de mots, cela ne devrait pas s’entendre comme un jeu de mots fade ou de l’amusement]. Il suffit ici d’aligner trois participes présents pour faire une strophe : « Voltigeant/Tournoyant/Retombant/ » ou « Il n’y a d’astres/Que tes yeux » ; « Il n’y a de paradis/Que ta présence/Il n’y a d’enfer/Que ton absence »…

     Comme on le sait, la réitération se fait régulièrement mode de configuration du rythme dans la poésie néo-oraliste. Mais quand elle se réduit ainsi qu’on le voit ici à une répétition vaine et redondante, elle devient de facto improductive. On lit à tout bout de phrase « Kwélie » ou « flamme éternelle ». On reprend les mêmes mots sans gagner en intensité poétique, comme une application avec beaucoup de pubs toutes les dix secondes. Après, on passe à côté de l’effet escompté.

     Ainsi, Flamme éternelle se déploie autour d’une poétique de la sveltesse : l’intensité poétique ne vole pas si haut qu’elle s’atrophie déjà. Quand on a fini de plumer les répétitions étouffantes, on demeure dans l’attente du choc, de l’état de grâce qui nous feraient entrer dans l’au-delà de la parole, mais rien. L’entrain est rarement sur le point de s’éclater « J’écrirai roses/les plus belles/les plus fraîches… » La poésie reste dans la prison des condensations inopportunes « J’allumerai/Lucioles », dans les métaphores de tous les jours qu’on rencontre sur la route du marché « Je tisserai les yeux fermés/À main levée des strophes inspirées… » Des strophes inspirées ?

     La poésie à l’eau de rose ; déclarer sa braise à sa muse ; lui dire que c’est en pensant à elle qu’on a l’inspiration. Décrire l’acte d’écriture tel un chemin vers sa muse. C’est cela Flamme éternelle, en témoignent les bougies allumées en forme de cœur sur la couverture. La poésie à l’eau de rose c’est donc décrire le corps de son amante, ses lèvres (généralement pulpeuses) ; comparer ses rondeurs au mont Korhogo…mais avec quelle voix singulière ? « Comment ne pas évoquer ta poitrine/Poitrine qui a su, à temps, suspendre sa poussée » ; « Et ta fière brèche fenêtre d’un monde féerique ». On crée un champ métaphorique assez classique, c’est-à-dire des métaphores qui jaillissent « du génie comique des foules ».

      C’est une poésie des mots jetés au sol obéissant au principe du retour à la ligne, ou on coupe le mot quand les vers sont longs comme dans un cahier de leçon. Comme des slameurs, le poète a « l’envie de parler la parole de [son] cœur ». Ah l’amour : « Amour/Sans virgule/Amour/Sans point final/Amour fleuve/Sans source/Sans embouchure » ; « Je dessine ta bouche, trou sans fond » ; « Transmets/À ma Flamme les mots de mon cœur/Même ceux de mon calame/En panne d’inspiration/N’a pu coucher » ; « Kwélie/Poème assaisonné/De sel fondu milieu/De l’enfer/Fracassant/De la planète/En tourment »…


Erick Digbé, Critique littéraire, correcteur-relecteur, Rédacteur en freelance, Conseil en écriture. 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Henri-Michel YÉRÉ, un poète gardien de la mémoire

L'odeur des étudiants dans la fiction romanesque (ivoirienne)