L'odeur des étudiants dans la fiction romanesque (ivoirienne)

    Ces Soleils ardents, roman de mœurs 


       Ces soleils ardents est un roman qui voudrait se lire comme une observation minutieuse de la réalité sociale et une représentation sans concession du milieu populaire (estudiantin). C’est un grand miroir — si on veut parler comme l’auteur de Le rouge et le noir— que l’on promène le long d’un amphithéâtre. On nous renvoie alors les conditions difficiles des étudiants (principalement) en offrant un portrait détaillé de leur vie, du reste misérable. Il y émerge toutefois une galerie de personnages étudiants qui, accrochés à leurs rêves, s’évertuent à résister aux tempêtes. Comme quoi, on peut tirer le diable par la queue et décrocher une étoile.

         L’intrigue du roman s’élabore de fait autour du parcours tumultueux de deux jeunes étudiants, Iro (on pourrait entendre héros) et Thierry, représentant chacun une voix narrative. « Toi et Thierry vous êtes vraiment faits du même bois ». On pourrait dire qu’ils sont des jumeaux, parce que tous les étudiants sont de la même famille, parce que les deux sont liés par des liens de pauvreté et partagent les mêmes drames intérieurs, les mêmes peurs. Thierry, à propos de Iro « Il baignait dans le soleil comme si chaque rayon le guérissait d’un mal profond et je m’étais dit que peut-être on se ressemblait, après tout »

       L’intrigue se déploie donc en explorant la vie quotidienne de ces deux jeunes ainsi que les pressions sociales — de toute nature qui sur elle, pèsent. Pressions universitaires, pressions familiales et tous les drames intérieurs comme un triple anankè (le dirait Hugo). On situera alors ce roman au confluent du roman de fait qui relate les drames extérieurs et le roman d’analyse qui se fait l’écho des drames intérieurs. 

       Disons-le encore, ce récit est quasiment consacré au monde estudiantin, peut-être l’un des premiers qui veuille avoir foncièrement l’odeur de l’étudiant. On sait qu’étudiant est synonyme de galérien (dans tous les sens du mots). « Prix étudiant » en est un bel euphémisme illustratif. L’écrivain se promet de restituer (passablement) la langue et les mœurs de ce monde, tout en décrivant les défauts de l’environnement familial. Un projet naturaliste à sa manière. Il n’y aura pas tant d’objection à dire que ce texte fait entrer l’étudiant dans la fiction romanesque ivoirienne par la grande porte où seulement l’élève avait droit de figurer. Peinture réaliste du monde estudiantin (et universitaire), de ses frasques ; de ses abymes, avec une bonne dose d’optimisme dans le parcours du/des héros, de quoi à donner de l’espoir au lecteur ( étudiant).

          Mais ce n’est pas une telle verdeur du style qui nous accueille ici. L’auteur donne l’impression de vouloir écrire ‘’correctement’’ dans un style fade sans prendre de risque. C’est un mérite de rendre son récit fluide, mais il ne doit pas manquer de hardiesse. C’est classique, c’est stable (or le roman est de nature instable), on reste dans l’attente éternelle du bouleversement, du moment vif qui remue les triples, qui fait pleurer le cœur, hélas ! On pourra avoir foi en la fluidité et la considérer comme l’éclosion de quelque chose de grand.           On arrive à s’identifier facilement aux personnages en raison du ton réaliste mais les scènes qui pourraient susciter davantage des émotions passent rapidement. En fait les scènes souffrent du manque de chair. Ça passe, ça survole à telle enseigne que la description donne difficilement à voir l’objet de la scène. Il manque une utilisation exigeante des descriptions des scènes pour faire des tableaux extrêmement visuels et précis pouvant renforcer le décor de la misère estudiantine et du drame familial.

      En d’autres mots, l’arbre descriptif du récit souffre de beaucoup d’aspérités, de maladresses. Cela n’empêche pas de reconnaitre le talent de conteur de l’auteur qui a l’art de réussir l’enchâssement, de réussir à intégrer des événements passés dans le récit cadre dans ce jeu de double narration habile. Il a l’art d’inscrire les souvenirs dans le présent de narration sans tomber dans la superposition pauvre des scènes mais dans un enchainement narratif. La double narration fonctionne finalement comme une seule voix bidirectionnelle, l’une étant le prolongement de l’autre. 

       Le parcours classique de l’étudiant ivoirien (village, famille d’accueil, cité universitaire, petits boulots) se construit passablement comme si l’intention était juste de dire les réalités de la vie estudiantine. On ne construit pas une grande fiction avec juste du vrai. Sinon on fait du roman-témoignage, riche de vrai et pauvre de littérature. L’espace d’Adjame semble servir juste d’élément pour faire vrai dans la relation du parcours de l’étudiant grouilleur, car c’est insuffisant la représentation sociologique de cet espace. On ne rentre pas dans la peau de l’espace. Des personnages nombreux qui restent au stade de silhouettes, de comparses. Sinon, par exemple, pourquoi après avoir démontré qu’Iro est beaucoup attaché à son cadet, on invente une scène (ir)réaliste à Adajme alors qu’il devait se rendre au village pour assister ce frère aimé très malade. 23 heures donc, à Adjame, pas de car. Il décide de passer la nuit là. À 1 heure, un petit garçon jouait avec un ballon gonflable…Sa mère vient le chercher, elle tombe en admiration d’un grand-frère qui pleure pour son cadet et est prêt à tout affronter pour aller le voir. Elle tombe même amoureuse du lien très fort entre les frères: "J’aimerais avoir un frère comme toi"… C’est tout… ! Son voyage n’a finalement pas eu lieu le lendemain…

       En outre, il y a surtout ici un récit des liens familiaux qui se lient et se délient ; les haines familiales naissent, se développent et reviennent sous forme atavique. Il se joue ici un drame familial causé par les haines familiales ancestrales et la dissolution de la cellule familiale, qui laissent les héros en proie à un intense conflit intérieur. Cela se manifeste par la honte de l’héritage familial, de son origine. « Il me présenta ses condoléances pour le père dont j’avais eu honte… » C’est comme cela qu’on prend langue avec Annie Ernaux… 

      Les personnages se retrouvent dans une sorte de situation de transfuge social. Ce qui développe en eux un sentiment oedipien. « Si papa avait lu ça, il serait mort plus tôt. Mais c’est moi qui l’ai tué, avec mes mots à moi ». Ils ont l’impression de subir les conséquences d’une malédiction héréditaire et de la privation d’une quelconque grâce. Leur existence apparaît donc comme une quête permanente en vue de combler le vide, après le constat du désert de famille. Mais l’auteur est optimiste, il nous laisse percevoir la possibilité ou la capacité pour chacun d’entre eux d’élargir son horizon, de se détacher de son étroit univers.

         Et puisque « toute œuvre, tout roman raconte à travers la trame événementielle, l’histoire de sa propre création, sa propre histoire. » selon les mots de Todorov , l’auteur réussit ici le jeu de l’autoreprésentation à la fois de l’écriture et du métier d’écrivain à travers d’une part l’histoire de la découverte du manuscrit du père et d’autre part à travers le métier de rédacteur. Cela fait à la page c’est sûr. Mais ici c’est relativement élégant de mettre le manuscrit au centre de la rencontre ou de la réconciliation entre le fils et le père. 

       Iro découvre dans les archives de son lieu de stage un manuscrit intitulé "Ces soleils incertains" qui porte le nom de son père. C’est l’occasion ultime de rentrer en dialogue enfin avec son père, de le découvrir, de le connaitre et de faire la paix avec lui. C’est dès cet instant qu’il s’engage à répondre à son père à travers un récit : "Ces soleils ardents". Il n’est pas pessimiste comme son père. Ces soleils ardents (pas incertains) sont remplis d’espoir. En fin de compte, c’est une ode implicite à la littérature elle-même. Iro déclare à juste titre dès le début « À chaque fois que je lis un nouveau livre je deviens quelqu’un d’autre, un réceptacle capable de cueillir d’autres vies. Je veux évoluer dans un monde où on ne parle que de cette chose incroyable qu’est la littérature ».

       Le roman finit par ces mots « Écrire, écrire jusqu’à ce qu’il ne me reste plus aucune force, plus rien à dire, plus de ressentiments ni de colère, écrire jusqu’à y laisser mon âme. Mon petit frère n’en attendait sûrement pas autant, mais c’est tout ce que je pouvais lui offrir de mieux, une histoire qui ne se terminerait pas sur une défaite ». Les derniers mots confirment l’idée d’écrire un roman d’espoir. Seulement j’y vois trop une volonté de faire du happy end. L’auteur est tellement doux finalement avec ses personnages qu'il veut même reconstituer toutes les familles... Et même à la fin on découvre une femme, un fils d’Oulahi, le fameux grand-frère…qui participe du happy end.


     Erick DIGBE, critique littéraire. Correcteur-relecteur et conseil indépendant auprès des éditeurs. 


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