Oumar Ndao réterritorialise les planches de la bédé africaine

 

 Pour Oumar Ndao, la bande dessinée ou l’image narrative se révèle plus efficace pour rendre compte d’une vérité historique. Il faut reterritorialiser l’espace de la bd (africaine) en faisant sauter le véto du héros ‘’importé’’ afin d’installer au trône de la planche le héros africain, qui bien-sûr est de papier mais absolument de chair et de souffle, parce que né des entrailles de l’Histoire.

   L’exercice auquel se soumet l’auteur consiste à ‘’mettre au monde’’ un héros africain inspiré de la figure de Ceddo. Ceddo ou Tiédo ou Cedo…a pour pluriel Sebbe (nous dit Papa Samba Diop dans Glossaire du roman sénégalais) et renvoie à un guerrier wolof des anciens royaumes de l’espace des actuels Sénégal, Gambie, Mauritanie… Le Ceddo, fidèle aux croyances traditionnelles africaines était opposé à la colonisation et inflammable au christianisme et à l’islamisation.

    Le Ceddo, volens nolens, un grand guerrier reconnaissable à ses dread-lock et ses amulettes. Fier et intrépide, il avait un grand sens de l’honneur. Mourir dans un lit était pour lui une honte. Entendre Ceddo, on se rappelle aussi le film de Sembène Ousmane qui a reçu dès sa sortie les attributs de film anti-islamique, anticlérical, pro-africain… Son film fut interdit dans toute l’Afrique y compris dans son propre pays le Sénégal. Le prétexte du Président-grammairien Senghor, est que Ceddo devrait s’écrire avec un seul « d ». Passons !

  Alors de quoi/qui est-il question dans CEDDO Naissance d’un superhéros ? Billy, policier ivoirien flemmard est en fin de stage au Sénégal. Dans un somme, avant son retour à Abidjan, une force invisible l'entraîne dans la forêt. Sous l’ombre d’un arbre, un homme énigmatique l’attend. Peut-être un aïeul qui s’ennuie d’en être un. Il lui révèle qu’il est la réincarnation d’un grand chef des Ceddo. De retour à Abidjan, Billy reçoit de nouveau la visite de l’homme mystérieux qui lui donne un talisman, symbole de courage et de force et lui dévoile que sa destinée est de combattre l’injustice. Billy et Lisa, sa coéquipière, arrêtent des dealers, mais ceux-ci sont relâchés aussitôt. L’impunité règne en maître. Peu de temps après, quelqu’un leur vend la mèche. Sur place, Lisa a une urgence qui l’oblige à abandonner Billy qui surprend le Chef de police avec des criminels. Surpris par des hommes armés qui veulent l’éliminer, Billy se métamorphose : sa véritable nature se révèle : il devient Ceddo, doté d’une force exquise. Seul, il arrive à bout de tous ses hommes…

     Dès lors, nous parions que cette BD absolument engagée et qu’on pourrait mettre en dialogue avec le film de Sembène Ousmane, épouse les traits de la bédé historique, quand l’auteur propose une bd didactique qui s’inspire de personnage historique. Mais l’auteur, loin de porter la casquette d’un historien, fait entrer ce personnage (d’inspiration) historique dans l’univers de la fiction et le façonne à sa guise, même si on peut croire en la reproduction du même schème : Ceddo soldat, guerrier égale à Billy policier.

    On peut voir, dans cette démarche, une reconstitution historique, (voire une réhabilitation) qui sans prétendre à une quelconque objectivité, reste collée à la réalité historique. Le matériau historique devient, même par le truchement des artifices de la fiction, le substrat de cette bédé. Il lui donne en effet du relief comme si on voulait « faire concurrence à l’état civil ». L’auteur ne pardonnera pas qu’on lise son récit en image simplement comme une chambre d’échos de l’Histoire, mais un atelier où l’Histoire passe l’épreuve du feu de la fiction.

    Cependant, on regrette que les planches soient si chargées et floues en raison de l’absence de couleur ; des cases pas (si) nécessaires. Quelques appendices manquants ; le jeu des zooms et des perspectives est quelque peu réussi mais (pas manque de couleur) on a du mal à s’approprier les scènes, les lieux. La journée et la nuit de fait se superposent. Les tons aussi…Comment savoir que telle atmosphère inspire la peur ou l’angoisse dans un art qui privilégie en substance l’image ?

    Le policier Billy a pour adjuvant Lisa, sa collègue  en plus de son talisman qui le transforme en Ceddo. Ce qui est troublant et peut-être invraisemblable voire une crise du réel, c’est que Lisa laisse Billy seul avec les bandits après qu’elle a reçu un coup de fil qui entend que sa mère est hospitalisée… En réalité, Lisa ne doit pas assister à la métamorphose de Billy-Ceddo ; l’auteur n’a  trouvé de prétexte plus éloquent et efficace que celui d'évoquer celui de sa mère malade…


 Erick DIGBE, Critique littéraire, correcteur-relecteur, Rédacteur en freelance, Conseil en écriture. 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Comme une flamme éphémère

Henri-Michel YÉRÉ, un poète gardien de la mémoire

L'odeur des étudiants dans la fiction romanesque (ivoirienne)