Elle, parmi ses souvenirs : une photo-socio-autobiographie de Tanella Boni

 Elle, parmi ses souvenirs : une photo-socio-auto-biographie de Tanella Boni



       « Une photo, est-ce vraiment un bout de papier neuf ou vieilli par le temps ? C’est tout un art de l’ombre et de la lumière. Voilà pourquoi cet art, qui essaie de capturer une image et de la fixer quelque part – mais où donc ? – dira toujours sa part de vérité à propos de qui nous sommes, où nous vivons, quels sont nos rêves, nos relations, nos lieux de vie, les paysages que nous traversons, l’ambiance qui nous entoure »

      La photographie, pour se faire connaître — il faut photographier les êtres et les objets si on veut les connaitre selon Zola ; pour faire découvrir certains aspects de sa vie personnelle et familiale, reconstituer ses souvenirs en commentant une photo — la photo étant d’une aide importante pour l’auteure soucieuse d’exactitude. C’est à cet exercice que se livre Tanella Boni ici dans ce texte en forme libre sans structure contraignante. Sinon, c’est récit qui tient plus de l’essai dans lequel elle essaie de reconstituer ses souvenirs à travers le commentaire d’une photo d’enfance figurant à l’entrée du texte.

      On aura droit, nous, de parler de photo-synthèse narrative à entendre comme un récit construit à partir de fragments de souvenirs (en partant d’une photo) et ainsi de procéder à un dévoilement très intime du moi. Elle, parmi ses souvenirs, c’est l’adulte qui se raconte et se rencontre dans un style fluide et dépouillé. Cette adulte tient sa photo d’enfance entre ses mains et est envahie par un sentiment trouble : le sentiment que c’est tout à fait elle et en même temps une autre personne. Et ce sentiment trouble se traduit par un procédé d’illélisme : parler de soi à la troisième personne du singulier. Dès lors, le moi se pose comme un autre.

     Voici l’une des manières les plus exquises de se dire, de se dévoiler. Un texte délicatement empreint de la nostalgie de l’enfance et de tous les possibles avortés. Partir de la photo, la décrire minutieusement et s’engager à la reconstitution d’un univers disparu et pourtant si présent sur la photo, qui sert de déclencheur à la reconstitution de ce monde dont elle ne sait plus tout. On propose ainsi une exploration sensible de l’intime. Des bribes désordonnées de souvenirs qui reviennent comme une suite de flashs. La narratrice aurait une lampe attachée au front qu’elle promène sur son enfance. Nous voici de ce fait jetés dans des souvenirs éparpillés tels que la photo lui ramène.

    Ce à quoi se livre l’auteure ici c’est surtout une réflexion sur le travail de la mémoire, sa fragilité, sur la rémanence et l’interprétation des souvenirs, puis enfin une réflexion sur l’art de la photographie. En même temps « Sa mémoire lui joue parfois des tours » comme le dit la narratrice et comme l’a reconnu l’auteure à qui on a demandé pourquoi aucun commentaire n’est fait sur la chaussure que porte la jeune fille sur la photo. C’est également les tours de mémoire qui rendent les répétitions ennuyeuses.

      Alors en lisant ce projet déployé autour de la photographie, on pourrait se rappeler « La chambre claire. Note sur la photographie » de Roland Barthes qui, menant une réflexion sur la photographie voit en elle un témoin excellent du réel … Mais c’est surtout de Annie Ernaux qu’il faut rapprocher ce projet élégant de Tanella Boni. La photo est un motif récurrent dans son œuvre ( dans La Place, L’usage de la photo, Une femme, La Honte, Les Années, L’autre fille…) ; ce qui a donné raison à ses exégètes de parler de « photo-socio-autobiographie ». 

     Comme elle, Tanella fait de la photo le cœur de son projet de reconstitution de son enfance et de l’ambiance de cette époque perdue dans les méandres de sa mémoire. Les descriptions minutieuses de la photo laissent entrevoir des odeurs du milieu social du mode de vie. En un mot, l’auteure fait une socio-analyse d’elle et de sa famille.


Erick DIGBE, Critique littéraire, Correcteur-relecteur, Rédacteur freelance, Conseil en écriture. 

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