C'KATCHA A PLUSIEURS ARTS À SON CORPS

 C’KATCHA A PLUSIEURS ARTS À SON CORPS


Samedi 30 septembre à l’Institut Français de Côte d’Ivoire, a eu lieu le spectacle de C’katcha, artiste-slameur aux multiples talents. C’était un projet entraînant. On a pris du plaisir à effectuer le Voyage jusqu’à la gare avec lui. Sur le chemin, on a rencontré nos langues mortes ou moribondes ; nos noms qui sonnent faux, nos riches patrimoines…et nos maques. C’était un spectacle étoffé et le discours sous-jacent pourrait se traduire par ce qui est devenu une formule consacrée : « Le Cahier d’un retour au pays natal ». Aujourd’hui plus que jamais la question qui pend au nez de tout être humain à chaque seconde est le Qui suis-je ? ou Qui sommes-nous ?  C’est sans doute cette question qui a inspiré la création de cette belle pièce.

Entre parenthèses : Si on ne sait, visiblement, plus où on va, faudra savoir d’où on vient. Qui sommes-nous ? On est ceci et on ne l’est plus la minute d’après. On est seulement ce qu’on pourrait être. 

Pour parler du Voyage, il y a eu d’abord un avant-spectacle dominé par la communication, on va dire innovante. Des visuels ici et là.  Des capsules-vidéos. Et une Grande-première qui était en réalité une grande première ici. Et ce n’était pas juste pour la forme. L’idée c’était de donner une place active aux spectateurs dans la création de la pièce. L’artiste a d’ailleurs pris bonnes notes des critiques et propositions à lui faites lors de la Grande première. 

Je le redis : C’katcha fait partie des bêtes de scènes ; ceux qui apprivoisent la scène, la soumettent à leurs caprices, leur désir, leur fougue. Sur scène C’katcha s’embrase et tient le public en haleine du début jusqu’à la fin. C’est une boule d’énergie. Un as de la performance. Le slam était la porte d’entrée de Voyage. Mais en réalité c’était simplement un spectacle vivant, qui a consisté en la rencontre de différents modes d’expression. Corps et voix. Slam. Théâtre. Humour. Comique de situation. Chant. Danse… Quand le Voyage commence, on voit un homme avec sa valise à l’entrée du village, probablement. Retour au village natal pour se ressourcer. Il est vêtu comme un renégat. Progressivement, il refait peau neuve. La veste sera remplacée par un vêtement d’ici. 

La scène : l’artiste ne prend pas le risque de remplir la scène d’objets superfétatoires pour embrouiller le regard du spectateur. Non plus le risque de remplir la scène de personnages-acteurs et musiciens au point d’offrir différents tableaux. On avait une scène qui donnait envie de suivre. Katcha est donc seul sur scène et joue au pluriel. Parce que justement C’katcha habite toute la scène avec son corps en mouvement, et avec tous les masques aussi. Ce qui rend davantage le spectacle vivant c’est l’interaction vive avec le public, qui donne l’impression que le spectacle se construit là et maintenant, que tout le monde prend part à la création de la pièce.

 Il faut voir le petit Sénoufo sur scène. On Voyage sans voir le temps passé, le cœur offert aux plaisirs. C’est vrai l’éclairage nous jouait de mauvais tours par moments. Ça éclairait ici quand on était là. Les transitions entre les textes et/ou tableaux étaient peu ou prou embroussaillées. On sentait des entorses même si l’acteur essayait de se rattraper avec des jeux comiques pour sortir de la stagnation. Puis des erreurs de projection… Cela ne causait pas grand tort à la représentation. Il y avait du contenu, de quoi à gratifier le public. Mais je suis tout de même resté sur ma faim quant à la profondeur de certains textes. On donnait l’impression de juste évoquer sans donner trop d’informations que ce qu’on sait généralement déjà. 

Il ne suffit pas par exemple de faire mention du masque Goli puisqu’on est dans une posture de rétablissement de la vérité (culturelle), de découverte. On pourrait souligner l’origine Ouan de ce masque. Que les Baoulé sont allé à l’école de ce peuple pour apprendre à chanter et danser ce masque. Qu’aujourd’hui même encore les chants Goli sont en langue Ouan. Que c’est pour cela qu’on trouverait aussi bien un Ouan du nom de Goli qu’un Baoulé Goli (puisqu’on parle aussi des noms) … De même, c’était bien le texte sur Zaouli, c’était encore bien l’hommage à tous ses grands artistes (peintres) rendu. Toutefois, on pouvait aller au-delà de la beauté et l’amour pour Zaouli, parler du mystère à l’origine de sa découverte, comme on l’a fait pour le pont de lianes. Encore, il fallait glisser une ou deux phrases en langue Gouro, même le ‘’yako’’ qu’on fredonnait en Gouro (puisqu’on parle de langue, de Zaouli). La beauté du Zaouli c’est aussi la langue Gouro. Ça aurait fait plus d’effet. C’était beau le Wambelè mi-éclairé sur scène. Excellent ! Il ne suffit pas cependant de dire que c’est un masque Sénoufo. Pourquoi est-il le symbole de l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody par exemple ? 

Kong parle des langues mortes ou gisant sous l’arbre sans feuillage ; au lieu de parler du baoulé, du bambara, du swahili, du Lingala, ça aurait été plus intéressant de mentionner des langues ivoiriennes ayant peu de locuteurs (ou mortes) comme le Mona, le Sorkya, le Sia, le Gagou, le Ega, le Essouma… Puis C’Katcha et Kong s’effacent pratiquement en laissant leurs voix, leurs langues s’affronter. Et si une improvisation (préparée) donnait la parole à d’autres personnes du public ou aux musiciens qui participaient déjà au jeu, pour glisser des mots dans leurs langues à eux. Comme une tour de Babel de Koumassi…

Et c’était séduisant la fin du Voyage marquée par la rencontre avec les masques, qui rappelle ‘’Prières aux masques’’ d’un Senghor. J’aime cette fin-là où le personnage s’efface et fait corps avec les masques… !  Il faut retenir que C’katcha a plusieurs arts à son corps. Il suffit qu’il apparait sur la scène et le ‘’Tout’’ est joué. Voyage était un beau geste ! 


Erick DIGBE, Écrivain-poète, critique littéraire, correcteur-relecteur, Conseil indépendant auprès des éditeurs!

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