LES LARMES DE LA MER

 POINT DE LECTURE DE LES LARMES DE LA MER


      ‘’Les Larmes de la mer’’…, des vers lacrymaux, un poète en sanglot, de gros caillots de sang remplis de larmes qui chantent, qui dansent, qui pleurent, qui pleuvent… ; et comment Kissy  pleure-t-il ? Kissy pleure en chantant, il fait de la réitération le moteur de sa création poétique, sa stratégie discursive ; et sur elle repose toute la beauté et la laideur _la belle laideur_ de ce texte… Et c’est de cette manière que ce texte se vêt de l’esthétique de la poésie orale qui fait de la réitération un facteur de création par excellence. Elle contribue considérablement à l’organisation et au fonctionnement des textes oraux… 

      C’est autour de /avec cet outil que se construit cette poésie kissyenne ; en conséquence sa poésie n’est que jeu de distribution de signes, c’est-à-dire une suite de répétitions lexicales et syntaxiques, et de répétitions de sons, qui apparaissent redondantes, par moment. C’est le propre de la réitération ; on lit la même chose, de la même manière ou d’autres manières ; on tourne (versus) et on retourne. On peut se lasser vite, très vite d’ailleurs ; on peut ne pas aimer ; on peut reprocher au poète de tourner facilement, ici, quelquefois…

      Alors la réitération participe d’abord à l’amplification sémantique ; elle renforce le sens, la fait grandir. Les larmes coulent donc sans s’arrêter et font du poème une mer de larmes. En sus, la réitération assure l’architecture du texte, son organisation structurelle en des séquences narratives en imprimant un rythme au texte. En d’autres mots, l’effet de répétition organise structurellement et sémantiquement le texte de Kissy à travers des mutations de structures lexico-syntaxiques et surtout à travers la répétition de son ou la mutation phonétique… Et c’est là que réside toute la beauté de son poème.

       On a dit que pleurer c’est chanter, Kissy chante, ou il pleure ou il pleure en chantant ; il musique sa poésie, de la musique ou des pleurs, dans chaque vers, dans chaque strophe, sur chaque page…ou chaque plage… ; des rimes internes et finales assurées par des anaphores, des épiphores, des assonances et allitérations conjuguées dans une parfaite harmonie. Le poète est en quête perpétuelle de sons. « d’yeux étêtés/ d’amours défrichés/ d’amours pastichées/panachées… » ; « c’est une kora qui n’a plus de corps/ni d’accord ni de corde » ; « tes larmes labiles/tes larmes habiles/tes larmes agiles », « alourdis/assourdis/abasourdis… 

         Ce poème est « un jazz bruyant », « une trompette accordée aux tempêtes », un concert de larmes : « nos larmes concerto /qui creusent qui forent/un canal-de-Vridi un canal-de-Kiel ». Il veut faire entendre ses pleurs, ses larmes ; et il réussit à faire entendre le sanglot des vagues.  C’est donc le verbe ‘’entendre’’ qui ouvre le poème, « j’entends nos larmes », et cette proposition est tout le poème. « et toujours ce refrain identique/ce cantique assourdissant/qui se pose sur mes tympans ». Ce sont « nos larmes qui marchent/qui courent/qui rient par milliers/par millions/par milliards… ». On a l’impression de lire le même mot, d’entendre le même son, comme un jeu d’anagramme : « …pour ne plus embrasser/l’orage au dehors/qui les a embrasés ». « embrassés » devient « embrasés », quand la balle fusille le « s » ; c’est la boite de Pandore  qui s’ouvre; « maux étrangers/mots étranglés /dans tes veines de silex/ d’où s’exile le sang de tes villes ( ‘’silex’’, anagramme de ‘’exile’’  » ; « qui l’étreint/qui l’éteint/qui l’éreinte » ; « mon pleur mâle/ mon pleur râle »… Il faudra étudier la musique dans la poésie de Kissy ; c’est Orphée qui chante sur le corps sans vie de sa bien-aimée Bassam, qui a trop bu du sable, afin de la ramener à la mer, sa mère…

           Et la typographie des vers, autre élément de beauté de ce texte… En effet, les vers jetés à droites sur les pages (comme une écriture arabe » forment des vagues de larme, les larmes de la mer ; parce que le deuil n’a pas de règles, le poète écrit comme il veut ou comme il pleure. Chacun exprime sa douleur comme il la ressent. Tenons-nous bien, celui qui rit aux funérailles est aussi entrain de pleurer au même titre que ceux qui versent des torrents de larmes _ car il y a des larmes qui rient_ au même titre que ceux qui ne versent aucune larme qui ne disent aucun mot _car il y a des larmes muettes_.

    L’univers poétique de Kissy, grisaille et noirceur à l’intérieur comme à l’extérieur ; c’est un paysage couvert d’eau, donc de larmes. En réalité, il y a une goutte de larme qui coule sur la joue de chaque mot dans la poésie kissyenne. Si vous le voyez, ce poète, donnez-lui un mouchoir pour essuyer vos propres larmes. Kissy pleure sans fin ; adieu donc le point…, il pleure les victimes de l’attaque Bassam (mon pleur incandescent bâti de mers et de sable fin)  et de  toutes les attaques terroristes, il pleure « nos cœurs en berne » ; il pleure notre terre au visage morne. 

      À force de pleurer, le poète est au bout de son latin. Les mots suffoquent quand pleuvent les larmes. Il laisse la parole aux signes, c’est le discours du drame profond qui se traduit par ‘’la ponctuation des malaises’’. « j’entends nos larmes () », « j’entends nos larmes pendues en … », « j’entends les ,,, de nos larmes », « j’entends les !!! de nos larmes !!! », « j’entends les ??? de nos larmes ??? », et le concert des signes de ponctuation à la page 50. Consciemment ou non, cet adulte aux larmes faciles ne fait qu’écrire des mots-larmes. Dire déjà « Grand-Bassam » renvoie implicitement à la mer, et depuis les événements du 13 mars, à une grande douleur ouverte… ; et tout un lexique renvoyant à l’eau. Il y aura donc du sens à étudier l’isotopie de l’eau dans la création poétique de Kissy. C’est d’ailleurs dans la mer qu’il pêche ses vers : de La Mer Rouge, on arrive à Les Larmes de la Mer. Qui sait, s’il n’est pas en train d’écrire La Danse des Vagues …le poète de la mer.

        Et on tombe sous le charme de quelques associations inattendues ; la beauté des images : « c’est un jazz bruyant qui attrape froid au soleil », comme le jazz orphelin de Senghor qui sanglote sanglote ; « dans les tombes pensives » ; « les hôtels prennent froid au sud/ils recherchent leurs étoiles », cette manière de dire le drame et le lieu du drame (hôtel étoile du sud )… c’est quelque chose.

           Toutefois les larmes de Kissy contiennent quelque lueur d’espoir (comme la mer qui reprend son rire sur la première de couverture…), « ces vies ne sont pas mortes ». Si chanter c’est prier deux fois, et que pleurer c’est chanter, alors pleurer c’est prier sept fois.  « Grand-Bassam retourne te doucher/te coucher dans tes prières », (Amen ?). Le poème finit sur une note d’espoir, le chant funèbre finit par une note d’espoir, par une prière « Grand-Bassam sors ! esquive le sang le mauvais sort/sors du sarcophage/de l’autre côté du vent/une vie éternelle s’offre à ta vie ». N’oublions pas que nous parlons du poète de l’espoir…

  On pourrait faire une analyse ‘’nécropoétique’’ comparée entre LES LARMES DE LA MER de CĖDRIC MARSHALL KISSY et POÈMES SAUVAGES ĖCLAIRĖS AU FEU DE BROUSSE de HENRI NKOUMO, en montrant comment chacun de ces deux poètes pleure les victimes des attaques terroristes, notamment celle de Grand-Bassam.

Auteur : Cédric Marshall KISSY 

Titre: Les Larmes de la mer( 2021, édition Vallesse) 

DIGBE, Tato Érick

#dixfoisgbe

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