LE THÉÂTRE-SLAM, UN CONCEPT DE BLÉDÉ LOGBO

 ÉPHÉMÉRIDE, QUAND BLÉDÉ LOGBO FAIT LA GREFFE DU THÉÂTRE ET DU SLAM (Le théâtre-slam : un concept…)


Avec Éphéméride, BLÉDÉ Logbo met sur la scène de la création artistique, nouveau concept qu’est le théâtre-slam. Ce couple de mots allie deux arts bien connus que sont le théâtre et le slam. Le théâtre-slam est « un théâtre en manière de slam ou un slam en manière de théâtre » (LIAZÉRÉ, Préface) ; le dramaturge ajoute ainsi un autre corps à son art et devient dramaturge-slameur. Alors, comment se fait cette rencontre ? N’est-elle pas une contre naturelle, évidente ?

Le théâtre est un genre littéraire assez particulier qui concilie à la fois littérature et spectacle (un livre du prof-auteur Blédé est fort éloquent à ce propos), même si d’autres conceptions n’accordent pas au texte le statut de modèle indépassable. Art du spectacle, parce qu’à l’origine, le théâtre signifie « regarder/montrer ». Le théâtre est donc donné à voir… Quant au slam, il se définit généralement, à la fois « comme une poésie à déclamer et comme un texte libre. Aucune contrainte ne restreint son champ et le récitant n’a de limites que celles voulues et imposées par la situation et le contexte du jeu scénique. C’est ici que le slam rencontre la représentation théâtrale, puisqu’il est avant tout une ‘’claque’’ sous la forme de répliques (tirades, stichomythies aussi) alternées, décalées, suivies, embrassées qui font ‘’mouche’’ », (Avant-propos de l’auteur). Ainsi, ces deux formes d’expressions sont naturellement disposées à s’intégrer, se combiner. Pour le concepteur, créer un tel concept, c’est proposer aux metteurs en scène de ces ‘’courtes scènes à jouer en continu ou en discontinu’’, de choisir librement, d’agencer selon l’inspiration, d’organiser comme bon leur semble la ou les séquences, pour le plaisir de la création artistique, comme un dramaturge-slameur créant son propre rythme verbal, oratoire, chorégraphique. 

                  LE THÉÂTRE (Éphéméride), UN SUJET INTERMÉDIAL, VOIR UN HYPERMÉDIA 

Le concept de théâtre-slam témoigne du décloisonnement des frontières entre les arts et de la liberté de la création artistique. C’est le théâtre qui renaît de ses cendres par greffe d’un autre genre qu’est le slam. En effet, le genre théâtral qui s’étouffe dans le tourbillon des genres, gagne à utiliser le slam comme greffe pour se repositionner. Et le slam à qui on apprend à devenir un genre littéraire (LE SLAM VA BIEN) … L’auteur réussit cette alliance avec maestria. Ce qui est intéressant, c’est qu’il nous amène à nous interroger sur la nature intermédiale du théâtre. En fait, le théâtre est par essence un art qui intègre en son sein différentes formes médiatiques du fait de sa double nature (texte-spectacle). Il renferme la voix, le corps, musique (c’est sur ces bases qu’il joue le rôle fondamental dans les échanges entre les arts) ; son caractère intermédial tient également du fait qu’il réunit différents arts. Car, au fond, les pratiques artistiques sont de plus en plus interdisciplinaires dans notre société contemporaine, la société étant elle-même hypermédiatisée. « Les artistes œuvrant dans diverses disciplines travaillent maintenant les uns avec les autres. Leur rencontre n’est pas seulement métaphorique : ils se rencontrent sur la scène, parce que la scène fournit un espace où les arts peuvent s’affecter profondément », (Tatiana BURTIN).

Dans ÉPHÉMÉRIDE, le théâtre qui, naturellement, est un sujet intermédial, combine et intègre encore d’autres médias, d’autres arts (théâtre, musique, cinéma, slam…). En conséquence, il devient un hypermédia dans le sens de média fédérateur. Le théâtre se greffe au slam (qui est lui-même un sujet intermédial), incorpore le cinéma à travers les « voix off » dans le texte, la musique, et devient un foyer de médias, « la pratique intermédiale par excellence dans la mesure où il est lui-même fait de médias interagissant les uns avec les autres – la musique, la scénographie, les pratiques plastiques, la danse et la gestuelle, la dramaturgie, etc… » (Jean-Marc LARRUE). Cette capacité du théâtre d’incorporer tous les médias, conduit LARRUE à conclure : « le théâtre n’est ni un art ni un média comme les autres, c’est un hypermédia »…

           ÉPHÉMÉRIDE, UN THÉÂTRE-SLAM EN SEPT SCÈNES 

Ce texte est composé de sept scènes constituées de courtes scènes, à jouer sans discontinuer ou en morceaux choisis.

Scène 1 : SEPT EN 1

La première scène présente deux personnages, une femme et un homme. Les sept en 1 permettent aux deux personnages de passer au crible les sept jours de la semaine en mettant en évidence les activités ou tâches correspondant à chacun de ces jours ; ou ce que chaque jour de la semaine représente pour l’homme. L’auteur nous faire rapprocher du récit du mythe de la création du monde qui dit que Dieu créa le monde en six jours pour se reposer au septième. Est-ce cette logique que les hommes suivent aujourd’hui ?...

           Dans la scène 1, l’auteur fait également mention d’une boule bleue que font rouler les deux personnages. Cette boule représente le globe terrestre, la terre bleue. En la roulant, elle permet à l’homme et la femme de faire le tour des sept jours de la semaine (elle peut symboliser le travail) afin d’en étudier le sens. C’est cette boule qui est représentée sur la première de couverture où on voit une main tendue coloriée différemment tenant le globe. Les différentes couleurs représentent les différentes races (differents colors, one people -Lucky DUBE-) ; car le dramaturge-slameur défend l’égalité et l’union des races qui peuplent la terre. Nous sommes égaux devant les catastrophes naturelles ; il faut donc de l’union et de l’entraide… Cette boule permet aussi à l’auteur de faire le tour du monde et jeter un regard sur les problèmes que vit l’Homme à chaque coin de la terre. 

Scène 2 : À DEUX

Deux personnages : L’un et L’autre en dialogue court, bref, non laconique. Un dialogue qui met en exergue l’essence du monde basée sur les oppositions et la concurrence (thème central du texte) qui riment avec inégalités sociales, dominations, relations de force et de faiblesse des uns avec les autres… (L’autre) : « C’est vous qui rêvez de dominer infiniment les autres » /(L’un) : Nous dominons toujours et la fin ce n’est pas pour demain », (p.46). 

Scène 3 : LE TOUT VENANT 

À travers un jeu de mot, les trois personnages dont les noms sont une sorte de sigle, tournent en dérision les tares sociales, politiques. Cet humour satirique permet également d’appréhender les inégalités sociales liées à la concurrence… (LIAZ) : « C’est comme les Zouglou mélo ou les slameurs quand ils parlent Verlan, la langue à l’envers et à revers. Pour dire femme, c’est meuf comme bœuf. Ça se trouve que Micro en barres c’est microbe à barre. Ça se peut que cacao ce soit KO comme quand on vous frappe avec une barre de fer ou avec un couteau-machette », (p.52). 

Scène 4 : LE TRIO

Trois apprenants discutent sur les ressources de la langue française et leur utilité dans notre vie quotidienne. L’évidence de la langue est qu’il n’y a pas de langue sans images. C’est l’image qui fait la langue. C’est pour cela que la métaphore, par exemple, est omniprésente dans notre vie quotidienne. Les images sont au service de la langue et « construisent, formatent nos imaginaires », (p.65) . (Que vaut un slam sans métaphore ?)

Scène 5 : LEÇONS ET DEVOIRS DE RACE

Leçon (Leç) et Devoir (Dev) nous donne des leçons de vie en mettant l’accent sur ce qu’il y a d’essentiel dans la vie de l’homme. Ils mettent en relief le véritable visage du monde, les maux naturels et la maladie incurable qu’est le racisme… (Leç) : « Ma science me lâche/Ma raison me déroute face à l’imbécilité humaine. Est imbécile, le blanc, le blond, le noir, le jaune, le métis, l’arabe, le brun, le marron…/A Bas les Races/Vive le Génome Humain ! », (pp.80-81).

Scène 6 : LE MALENTENDU LEXICAL

        Les mots ont un sens et un pouvoir ; et pour civiliser la race condamnée à être avec un visage humain, il faut retirer la haine de la langue. Il faut se débarrasser des « mots-maux qui sont des mots atroces, farouches/des catastrophes libérateurs », (p. 84).

Scène 7 : CES CHOSES

Il est des choses si familières, d’une importance si évidente, si évidente qu’elles deviennent si insignifiantes et pourtant si importantes… Cette dernière scène présente deux personnages comme la scène 1 (Elle et Lui) qui s’interroge sur l’évidence des choses et leur caractère insignifiant. Comme les autres scènes, le racisme est mis au pilori. « On est humain par la parole non par la peau », p. 97…

COMME LES NOUVELLES DRAMATURGIES, ÉPHÉMÉRIDE s’attaque aux formes conventionnelles du théâtre, joue avec la langue et bat en brèche les catégories dramatiques. L’auteur veut qu’on explore son texte, mais il veut surtout qu’on l’entende sur scène (il veut un théâtre achevé), d’où le greffage au slam. Ce qui confère au texte l’aspect de l’oralité ; mais où on s’attendait à un griot, on découvre un slameur (un griot à micro). Un texte profondément subversif, anormal ; la fable progresse de façon aléatoire, discontinue en invitant le lecteur à la reconstitution des faits. Les scènes semblent constituer des bouts d’histoires sans logique apparente. L’instabilité des catégories dramatiques est perceptible d’abord à travers l’identité insaisissable des personnages. On ne sait absolument rien d’eux, ils sont désignés à partir de leur genre (l’homme, la femme), de pronoms personnels (Elle, lui), de leur profession avec des chiffres (apprenant 1 apprenant 2…) ou des créations lexicales de l’auteur (Mhoi, Lhui, Lec, Dev). L’espace-temps reste également insaisissable…Un théâtre de l’instabilité.

          POUR FINIR, À PROPOS DU TITRE…

Alors que la race humaine est en proie aux « Épidémies, Pandémie, Éboulements, Volcans, Séismes, Feux de brousse… », (p.99), les hommes continuent de « gueroyer [guerroyer]  en conflits divers, bénins ou sérieux », (p.99) ; or nous sommes des « Éphémérides ». De fait, « en attendant que l’Unique nous détache pour toujours » (p.100), il faut préserver, maintenir la paix. Le titre « Éphéméride » renvoie primo à un livre ou calendrier dont on détache chaque jour une page et, où généralement, sont rappelés les événements arrivés à la même date. Dans ce sens, le titre métaphorique symbolise la vie de l’homme. La vie étant un livre et nous sommes des pages, chacun attendant le jour où « l’Unique » l’arrachera de la vie.  Secundo, « Éphéméride » suppose l’idée d’éphémère ; le titre traduit le caractère éphémère de la vie de l’homme et renforce ainsi la première connotation…

Auteur : Blede LOGBO (Écrivain, enseignant-chercheur en dramaturgie française) 

Titre: ÉPHÉMÉRIDE (théâtre-slam) 

DIGBE, Tato Érick

#dixfoisgbe

Commentaires

Didy BLIA a dit…
Bravo Erick.
Tu nous donnes envie de lire.
Tu es bon.
Merci Erick pour votre pertinente et sensible analyse du théâtre-slam.
C'est une forme d'expression qui me fait penser à l'art du collage en arts plastiques.
L'œuvre constituée d'éléments divers acquiert au final une homogénéité qui touche par son humanité. Nos vies ne sont-elles pas des "patchwork" d'émotions, de ressentis, d'évènements au quotidien ? Une trame infinie de possibles en devenir...

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